Entretien avec Christine Aubry, spécialiste de l'agriculture urbaine.  ???? Site Internet du Jardinage Pratique.  2023

Entretien avec Christine Aubry, spécialiste de l’agriculture urbaine. Site Internet du Jardinage Pratique. 2025

Christine Aubryvous êtes ingénieur de recherche à l’INRA / AgroParisTech à Paris, vous avez fondé l’équipe Agriculture urbaine A l’UMR SAD-APT vous êtes aujourd’hui le spécialiste de l’agriculture urbaine.

Christine Aubry, Ingénieure de Recherche à l'INRA/AgroParisTech à Paris, Agricultures Urbaines de l'UMR SAD-APT,

Comment en êtes-vous arrivé à ce choix de spécialisation ?

Compte tenu de la diversité de l’agriculture urbaine (voir ci-dessous) je ne prétends pas en être le spécialiste, heureusement il y en a d’autres qui s’intéressent et ont de l’expérience en la matière. Comment y suis-je arrivé ? Finalement, assez banal au regard des exercices de mes confrères chercheurs ou enseignant-chercheurs dans le monde : issu d’une expérience dans un pays du sud, en l’occurrence Madagascar.

J’ai eu la chance de travailler trois ans entre 1999 et 2002 sur une autre thématique (la déforestation dans une forêt primaire) et vivre à Antananarivo, la capitale, a suffi à m’ouvrir les yeux et à tourner la tête pour voir l’agriculture. partout en ville en effet, comme dans beaucoup d’autres pays du sud où la plupart des produits frais (légumes, œufs, lait, etc.) sont produits en ville ou dans ses environs très proches. J’ai donc eu avec des collègues malgaches (en agronomie et géographie notamment) et avec un collègue du CIRAD (Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement) qui souhaitaient monter un projet de recherche appliquée sur cette agriculture en ville : Il s’est enfui ! de 2002 à 2008 et a été suivi de deux autres !

De retour en France en 2002, tout en poursuivant ce projet à distance, j’ai commencé à m’intéresser de plus près à l’agriculture, à l’époque plutôt urbaine « perdue », à Paris et aux alentours, constatant qu’avec la demande croissante de nature en ville et court-circuitant celles urbaines, l’agriculture périurbaine est devenue en partie, en effet, plus urbaine depuis qu’on a vu l’explosion des jardins associatifs, puis de fil en aiguille. Je me suis intéressé à toutes les formes émergentes d’agriculture dans et autour de la ville et j’ai formé en 2012 une équipe de recherche dédiée.

Aujourd’hui, l’agriculture urbaine prend différentes formes, comment la définiriez-vous ?

Là encore, au niveau international, malgré la diversité des définitions, il existe un large consensus sur le fait que l’agriculture est urbaine dans ou autour de la ville, qu’elle entretient des liens fonctionnels étroits avec la ville (notamment mais pas seulement pour l’approvisionnement alimentaire) et qu’elle partage les ressources. avec eux sous forme de concurrence (y compris le foncier) mais aussi de complémentarité (par exemple le travail). Il existe également un consensus sur sa grande diversité, dans ses orientations (professionnelles, non professionnelles), ses dispositifs techniques (du sol aux différentes formes de surfaces, en extérieur ou non, avec contrôle environnemental). (y compris l’éclairage) plus ou moins puissants, et leurs fonctions pour la ville : la notion de multifonctionnalité est souvent associée à l’agriculture urbaine, même si toutes ses formes ne sont pas fortement multifonctionnelles, et s’il peut y avoir multifonctionnalité. Une agriculture « non urbaine ».

Certains pensent que tous les projets d’agriculture urbaine (fermes périurbaines en permaculture, jardins associatifs, toits-jardins collectifs…) sont une lubie de fous parisiens : à quoi vous opposez-vous ?

Que quand on est un sévillan, grec, portugais ou français au chômage, qui cultive en ville pour manger et/ou rencontrer des gens et lutter contre l’isolement, on n’est pas des huées, on a fait de l’agriculture urbaine et pas qu’un peu (à Lisbonne, 7) . des 32 hectares d’espaces verts ont été transformés par la ville en jardinage associatif pour les chômeurs de longue durée et les familles pauvres).

Lorsque de nombreux projets de rénovation urbaine incluent un ou plusieurs projets d’agriculture urbaine, ce n’est pas seulement pour les riches ou pour « jouer », mais pour rendre la future ville ou le futur quartier plus vivable pour tous.

Que face aux crises agricoles que connaît le pays, une solution (parmi d’autres, je l’espère !) pour que les agriculteurs captent de la valeur, c’est qu’ils deviennent « plus urbains » dans leurs productions, dans leurs modes de production. et les canaux de commercialisation.

Et cela, enfin, se lancer dans l’agriculture en ville ou dans ses environs pour réduire la chaleur urbaine des îles (il reste encore à prouver quels sont les moyens les plus efficaces pour y parvenir…) deviendra, dans les années à venir. Laissez-les venir, un must.

Comment et de quelle manière la ville et cette forme d’agriculture peuvent-elles s’unir, se relier, se compléter ?

Comme il existe de nombreuses formes d’agriculture urbaine et différentes villes, les liens, c’est-à-dire les fonctions que l’agriculture urbaine peut jouer pour les villes, peuvent être très variables. Concernant l’alimentation, il est bien certain que dans la plupart de nos villes françaises, l’agriculture intra-urbaine restera confidentielle en termes de quantités produites, contrairement à son rôle pédagogique en alimentation ou expérimental pour tester de nouvelles productions. C’est déjà et cela sera de plus en plus important.

Certaines formes d’agriculture urbaine peuvent également jouer un rôle environnemental très important : par exemple, à New York, le toit est rémunéré par la ville pour ses effets sur la réduction des pics de ruissellement des eaux. il pleut, tout comme une infrastructure qui, comme on dit localement, « évite d’augmenter la taille des canalisations ». Mais je pense que le lien le plus fort est éducatif : lorsque nous, citadins, sommes à trois ou quatre générations de l’agriculture, nous (ré)apprenons comment un cycle de culture, comment un poulet, une abeille, comment garder un troupeau de moutons, est une fonction importante. renouer avec la nature et la production alimentaire et (re)connaître et respecter les agriculteurs.

La tendance marquée des produits de saison, si possible bio, des circuits courts, des AMAP, ainsi que le développement d’une alimentation végétarienne, voire végétalienne, jouent un rôle déclencheur dans le développement des projets agricoles. urbain et à quoi s’attendre

De toute évidence, l’agriculture urbaine telle que nous la voyons aujourd’hui est un bébé, à la fois en raison de la nécessité de raccourcir les distances (géographiques et culturelles) pour se nourrir, et en raison d’un certain défi sociopolitique posé au système alimentaire. actuelle, jugée notamment par sa consommation d’énergie, son industrialisation et une sorte de manque de respect pour la vie, comme hautement répréhensible.

Bien évidemment, l’agriculture urbaine ne peut répondre seule à ces nouveaux besoins, c’est plutôt dans une interrogation mutuelle entre les formes d’agriculture, les modes de transformation, de distribution et bien sûr de consommation, que peut parvenir l’agriculture urbaine. Un rôle de « catalyseur » des transformations du système alimentaire mondial. Je parle de réciprocité car il faut aussi que les « nouveaux agriculteurs urbains » et les agriculteurs urbains en général cessent de penser qu’ils sont autorisés à définir pour les autres ce qui est bien et ce qui est bien, sans le savoir : le monde agricole souffre d’une incroyable ignorance. . (limites techniques, efforts fournis, soins apportés aux cultures et aux animaux par les agriculteurs « classiques ») et par les formes d’agriculture urbaine, qui peuvent aussi modifier ce degré de connaissance des autres formes. la ferme.

Les projets immobiliers qui offrent des espaces cultivés (toitures, parcelles, murs…) aménagés, inaugurés ici et là : est-ce un promoteur marketing, un coup politique médiatique ou une réalité apportée ? développer? Existe-t-il des spécialistes comme vous associés à ce type de projets pour les rendre durables ?

Il semble qu’il soit aujourd’hui une étape nécessaire pour les constructeurs de proposer, au niveau des bâtiments ou des quartiers, des formes d’agriculture urbaine. Je me souviens qu’il y a moins de 5 ans, certains constructeurs nous disaient vouloir « innover », se « démarquer » en proposant ces formes. Aujourd’hui, ceux qui ne le font pas seraient laissés pour compte… Je suis sûr que cela va continuer car, encore une fois, les formes d’agriculture urbaine correspondent effectivement aux besoins croissants des urbains, moins directement d’un point de vue alimentaire. que d’un point de vue alimentaire. d’éducation, d’environnement, de lien social… C’est l’un des moyens de rendre la ville plus vivable et c’est devenu une nécessité.

Oui, nous sommes associés (parfois bien sûr, pas toujours) et c’est passionnant pour nous de voir comment les « créateurs » de ces projets progressent dans la connaissance des sujets, dans la connaissance des modes d’agriculture et aussi Comment nous pouvons nous rendre compte des limites qu’ils , à quel point est-il difficile de construire la ville ? Lorsque nous voyons ce que font nos sociétés aujourd’hui avec les méthodes de construction urbaine sans âme des années 1960, nous disons qu’il est important que nous puissions contribuer à faire le contraire.

Les projets de serres hors sol (non bio) ou « perchées » nécessitent une technique sophistiquée qui n’est pas en contradiction avec la tendance bio, un certain ethos que rappelle souvent Pierre Rabhi, la « sobriété heureuse » qui intéressait les séducteurs urbains du jardinage. ?

Tous les projets hors sol ne sont pas nécessairement « high-tech » au sens de mise en œuvre de technologies coûteuses et « fermés » à l’appropriation des citoyens. Tous les projets de culture en cuve (et pas en plein champ) parce que l’on est sur le toit, parce que le terrain est trop pollué et commencent, comme cela arrive sur le toit des déchets agro-organiques de la ville, ne sont pas contradictoires. , au contraire, avec une « sobriété heureuse » : ils ne sont certes pas bio dans le sens où en France ils ne peuvent pas être certifiés agriculture biologique car ils n’ont aucun lien avec le sol sur place, mais ils participent à l’économie circulaire de la ville , valorisant votre ressource premium, vos déchets (des projets sont en cours aujourd’hui pour valoriser l’urine humaine et directement) et cela, c La sobriété est de plus en plus nécessaire à mesure que les villes et les problèmes de gestion des déchets se multiplient.

Peut-être aussi parce que cela donne à des personnes qui n’ont pas la possibilité de vivre, ni même de se déplacer, dans de beaux endroits ruraux, de pouvoir jardiner, manger, rencontrer la nature (une étude récente montre leur « invasion » rapide). contenants au plafond d’une multitude d’insectes et de plantes !), trouvent le lien social, en bas ou en haut de leur maison. Tous ces programmes culturels dans des réservoirs au pied des immeubles, sur les toits, pour les immeubles collectifs, dans les quartiers défavorisés, j’aimerais que les défenseurs d’une sobriété heureuse les chérissent et les accompagnent à « réparer » comme à détériorer. d’une urbanisation déshumanisante (voir ci-dessus). Le message de Pierre Rabhi, et je suis sûr qu’il partage ce point de vue, ne s’adresse pas qu’aux « heureux ».

D’autres formes de haute technologie (comme les toits des villes, par exemple) peuvent également avoir des intérêts écologiques et sociaux, comme la fourniture de produits locaux (y compris du poisson dans le cas de l’aquaponie), mais il est clairement préférable de les déterminer. Impact environnemental : peut-on et comment valoriser le gaspillage thermique urbain ? Récupérez-vous, par exemple, pour chauffer une serre la chaleur fatale du data center, des bureaux, des commerces ? Et à qui (et à quel prix) les productions agricoles sont-elles destinées ? Selon le contexte urbain, notamment la densité urbaine et le climat, la « pertinence » des serres sur toit sera plus ou moins évidente. Mais l’établir nécessite une enquête publique, car elle est synonyme d’indépendance vis-à-vis des intérêts commerciaux qui peuvent porter ces projets, et c’est une denrée très rare aujourd’hui !

Jardin expérimental Agroparistech.

Comment a été réalisée la toiture du jardin expérimental Agroparistech en décembre 2011 (photo ci-dessus) ?

Très bien! Elle a été le support d’une thèse soutenue en décembre 2017 sur les services écosystémiques offerts par ces formes d’agriculture urbaine et sert aujourd’hui à approfondir cette thématique dans certains services (biodiversité notamment, rétention d’eau). Dans le cadre d’un post-doctorat, il sert également à initier des travaux originaux mesurant les effets de la régulation des îlots de chaleur urbains et plus original encore, en relation avec l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement), il sert de site d’expérimentation des cultures « nouvelles », c’est-à-dire exotiques, tropicales, qu’il pourrait être intéressant de produire en agriculture urbaine (en profitant de cette chaleur urbaine) pour répondre aux attentes des populations d’origine africaine ou asiatique, et plus encore, aux besoins des cuisines de le monde!

Dès l’année prochaine, il testera également de « nouveaux » déchets organiques urbains, dont ces composts produits par certains secteurs d’activité (restaurants par exemple) ou électromécaniquement au sein des villes, et cela, en relation avec de nouvelles entreprises développant ces activités d’économie circulaire. Et c’est un lieu très visité, nous privilégions fortement l’éducation (les jeunes de nos écoles, mais aussi d’autres formations comme les architectes, les écoliers, les lycéens, les enseignants, les professionnels agricoles, etc.). L’année dernière, nous avons accueilli près de 900 visiteurs sur ce toit.

Vous avez un emploi du temps chargé, vous avez un projet d’agriculture urbaine qui vous tient particulièrement à cœur et que vous souhaitez présenter à nos jardiniers en ligne ?

L’un de mes préférés est celui de l’association Veni Verdi, qui a développé des jardins dans les écoles des Zones d’éducation prioritaire (ZEP) de Paris (dont l’université Pierre Mendès-France dans les années 1920).º) : ce projet est très sympa, d’abord parce que les animateurs de Veni Verdi sont arrivés (bye-bye !) pour captiver les jeunes étudiants universitaires qui se sentent plus attirés par les jeux vidéo que par les rouges a priori (et en même temps les professeurs et les écoles administratives) . pour surmonter le bourbier des restrictions administratives pour la réalisation de ces jardins !) et aussi parce qu’elle développe des techniques de production agroécologiques (panneaux écologiques notamment), des modes de désherbage originaux, participe à la valorisation des déchets scolaires bio et parce qu’en organisant  »  » le travail d’équipe » pour les entreprises permet aux dirigeants de se rencontrer, ce qu’ils n’auraient jamais eu l’occasion de faire. Sinon, des jeunes des quartiers populaires autour du jardinage, de l’élevage de poules, etc. Un très bel exemple de ce qu’on appelle la multifonctionnalité de l’agriculture urbaine.

  • Lisez également le fichier sur Les jardins urbains en plein essor !

Écrit par Nathalie le 19/04/2018.